Neuf mille kilomètres

D’habitude, c’est la circulation incessante de la Zhaojiabang road qui me réveille. Ou la lueur blanchâtre du début d’automne pollué à Shanghai.

Ce matin là, ce ne sont que de quatre mots dont je me souviens : attentats. Paris. Morts. Appelle.

 

La liste de notifications sur mon téléphone n’en finissait pas. Anglais, Français. Morts. Attentats. Concert Hall. Bataclan. Kamikaze. Terrasse. Mon cerveau s’effritait, comme du mauvais pollen marseillais.

 

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Impossible d’appeler à l’étranger avec nos cartes SIM chinoises de paysan. Pas d’argent sur la carte française pour pouvoir mettre du fric sur Skype et appeler la France. On égrène ses potes. Ses copains d’enfance. Sa famille. On a honte de le faire.

Tous ceux qui pourraient être en train de se vider de leur sang sur un coin de trottoir, dans une salle de concert, blessé ou pire par des armes de guerre, ou par un connard qui s’est dit que se ceinturer d’explosifs et se faire sauter était une bonne idée.

Pendant que t’es à neuf mille kilomètres parce que t’as décidé que la vie en Europe, c’était pas pour toi. Tu te sens con.

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Facebook. Facebook. Putain de VPN putain de Wifi de merde putain d’internet à la con, rien ne charge, charge à moitié, personne ne répond. Une bribe de conversation avec un ami d’enfance. Il est barricadé.

Ça a tiré. Attends, je te rappelle, y’a un militaire à la porte. 

Le VPN lâche encore. Plus de nouvelles. Les parents vont bien. On scanne Facebook, la seule et unique source d’info. On harcèle.

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Une conversation avec quelqu’un d’autre.

Ma pote a été blessée au Petit Cambodge mais ça va. 

Mais ça va.

Puis quelqu’un d’autre.

Il y a des morts en face. Ça a tiré. 

Il y a des morts.

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Tu répètes  putain, putain. Puis t’arrêtes de le dire, et tu le répète dans ta tête. Tu te vois aller à des enterrements. Tu te vois dans un hôpital. Tu te vois dans un vol de minimum 12h, interminable, retourner à Paris. Tu te souviens des regards, des odeurs des gens qui te sont chers. De gens proches et moins proches.

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Il y a deux étés, on est allés à la Belle Equipe avec mes potes. Le seul cercle de potes que j’appelle directement quand je reviens à Paris. Ils sont peu nombreux, mais ils comptent pour moi, autant que ma famille. On a grandi, on a été cons ensemble. Ça rapproche la connerie.

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Il faisait beau putain, on bouffait des cacahouètes et on buvait des demis comme des bons parisiens. En terrasse, comme on l’a fait des centaines de fois. Comme des millions de personnes l’ont fait des centaines de fois.

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Les morts du 13 Novembre, ça aurait pu être nous. Les morts du 13 Novembre, ce sont nos morts.

Fluctuat nec mergitur, les gars.

P.S.

Hé, terroriste aliéné, regarde bien ce chat parisien dans les yeux, et dis toi bien que lui aussi, il t’emmerde.

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